(dernière mise à jour : 31 décembre 1999)
Depuis le début du vingtième siècle, on signale dans les forêts de l'ouest africain une sorte de rhinocéros.
1) Quelques témoignages
- Sir Harry Johnston, qui fut gouverneur de l'Ouganda, et à qui l'on doit la découverte de l'okapi (Okapia johnstoni), qui sert d'ailleurs de logo à notre site, écrivait dans son ouvrage Liberia (1906) :
"Les Mandingues des contrées nord du Libéria affirment qu'un rhinocéros existe dans leur pays. Ils reconnurent immédiatement des photographies du rhinocéros commun à deux cornes, et le nommèrent "kowuru". Voici une très intéressante question à approfondir à l'avenir. Il semble étrange que le rhinocéros soit absent des régions ouvertes de l'Afrique occidentale à la limite de la forêt, alors qu'on le trouve en abondance dans le Soudan oriental, en Afrique orientale, du sud-ouest et du centre sud. Mais bien que son existence soit constamment affirmée ou signalée par les Arabes, les Hausas ou les Mandingues dans les régions de l'Afrique du centre ouest entre le lac Tchad et le haut Niger, aucun vestige de rhinocéros n'a jamais été envoyé en Europe ou en Amérique depuis ces régions. Jusqu'à ce qu'une preuve directe de son existence puisse nous être présentée, nous devons considérer la question comme non prouvée." (d'après Johnston 1906)
- Le chasseur français Georges Trial observa un rhinocéros dans les forêts du Gabon en 1931 ou 1932 :
"C'était un animal formidable, d'une longueur extraordinaire, qui paraissait si démesurément long qu'il me sembla certainement beaucoup moins haut qu'il ne l'était en réalité. Le nez au sol, il portait bas une tête monstrueuse, que dominaient deux cornes nasales très hautes, sensiblement égales et recourbées l'une vers l'autre. Il donnait l'impression d'être blindé, couvert de larges plaques grisâtres rigides, séparées les unes des autres par des sillons clairs, disposés comme des articulations ou des soufflets. A part sa double défense je n'ai bien distingué de cette tête difforme que des oreilles petites et continuellement en mouvement, de cette croupe massive qu'une petite queue de cochon ridicule, qui s'agitait avec frénésie. Le rhinocéros s'engagea en terrain découvert, sans soupçonner le moins du monde ma présence, traversa en biais la plaine, puis s'éloigna paisiblement en proférant de petits grognements de porc satisfait." (d'après Trial 1952, 1955).
2) Canulars
- pas de canular à notre connaissance.
3) Indices matériels
- traces d'agression : on a signalé et parfois photographié des cadavres d'hippopotames ou d'éléphants portant une profonde blessure double, dont on a accusé un hypothétique rhinocéros forestier. Mais ces blessures ont pu être infligées par les défenses des hippopotames ou des éléphants eux-mêmes (combats entre hippos mâles pour la possession de harems par exemple, ou euthanasie entre éléphants pour abréger les souffrances d'un congénère blessé), ou encore par les canines de félins à dents en sabre.
- une trace de pas photographiée au Congo par Yvan Ridel en 1966 (figure 1) ne semble être qu'une empreinte d'hippopotame, comme l'a démontré de manière très convaincante Rémy Jalowézak (1997-1998).
4) Analyse cryptozoologique
En Afrique, on ne connaît que deux espèces de rhinocéros, le rhinocéros noir (Diceros bicornis) et le rhinocéros blanc (Ceratotherium simum), qui est en fait une traduction erronnée de wide rhino (et non white), faisant allusion à la largeur de la gueule de l'animal. Tous deux ont la peau nue et deux cornes, et vivent dans la savane.
Pourtant, une sorte de rhinocéros forestier est signalé au Libéria, au Gabon, et à la limite du sud du Cameroun et du nord du Congo (Brazzaville).
La mention de "plaques" rappelle les espèces de rhinocérotidés asiatiques, notamment le rhinocéros de Sumatra (Dicerorhinus sumatraensis) et celui de Java (R. sondaicus), dont les replis dermiques évoquent une carapace articulée, et qui sont des espèces forestières.
Au Congo, où l'animal est appelé emela-ntouka ("éléphant d'eau" ou "tueur d'éléphants"), il est parfois décrit avec une lourde queue traînant à terre, ce qui a conduit Roy P. Mackal a avancer l'idée qu'il s'agissait peut-être d'un cératopsien attardé (reptiles du secondaire à allure de rhinocéros). Toutefois, le caractère vague de ces rapports, et la présence dans la même région du mokele-mbembe, un animal à allure de reptile sauropode (comme le brontosaure), et donc à la queue lourde traînant sur le sol, laisse penser que la confusion est née entre les deux créatures.
5) Hypothèses alternatives
- spécimens de rhinocéros noirs ou blancs anormalement éloignés de leur aire de répartition connue et égarés dans un biotope qui n'est pas le leur (peu vraisemblable), ou extension de l'aire de répartition de l'une ou l'autre de ces deux espèces ou des deux (encore moins probable).
6) Pour en savoir plus
JALOWEZAK, Rémy
1997-1998 Une empreinte de grande taille photographiée au Congo en 1966 : vraie ou fausse énigme cryptozoologique ? Cryptozoologia, n° 16 : 3-9 (septembre) ; n° 17 : 3-9 (octobre) ; n° 18 : 3-7 (novembre) ; n° 19 : 3-10 (décembre) ; n° 20 : 9-13 (janvier).
JOHNSTON, Sir Harry
1906 Liberia. London, Hutchinson and Co : 712-713.
MACKAL, Roy P.
1987 A living dinosaur ? Leiden, E. J. Brill.
TRIAL, Georges
1952 Rencontres imprévues et gibier d'exception. Cahiers de Chasse et de Nature, fascicule n° 11 : 35-44 (3° trimestre) [41-42].
1955 Dix ans de chasse au Gabon. Paris, Crépin-Leblond : 226-229.