Dans le " Trou à l'âne " quatre enfants découvrent la " Chapelle Sixtine de la préhistoire "
Septembre 1940. Sur les collines du Périgord, le tumulte de la guerre s'est évanoui dans l'éclat d'un lumineux automne. A Lascaux, près de Montignac, petit bourg sur la Vézère, quatre jeunes garçons sont partis explorer une cavité naturelle des environs, connue sous le nom de " Trou à l'âne ". Ils se retrouvent au fond d'un puits d'où partent des couloirs dont les parois sont décorées d'immenses frises de chevaux, de bovidés, de cerfs et de bouquetins dont les bruns, les ocres et les noirs, d'une étonnante fraîcheur, se détachent avec vigueur sur les fonds de calcite claire. Quelques jours plus tard, l'abbé Breuil, prévenu par l'instituteur des enfants, parlera, les larmes aux yeux, de " la chapelle Sixtine de la Préhistoire ".
Certes, c'est bien d'un sanctuaire qu'il s'agit à Lascaux. Mais nous ignorerons à jamais les rites qui s'y déroutèrent et la signification religieuse de ce grand art animalier que nous ont laissé les chasseurs de l'époque magdalénienne, 15000 ans avant notre ère. " Une scène vide, a dit le professeur Leroi-Gourhan, où l'on nous demanderait de reconstituer la pièce d'après les éléments du décor. " Pourtant, dans sa magistrate " Préhistoire de l'art occidental ", il nous aura donné, sinon une lecture de ce prodigieux bestiaire, du moins la certitude qu'une pensée cohérente et complexe s'est exprimée à travers lui. A Lascaux comme dans toutes les autres grottes ornées - de l'Oural à l'Atlantique - les animaux et les signes sexués se retrouvent toujours en des associations semblables, à des endroits bien déterminés de la caverne. L'analyse statistique de centaines de parois décorées révèle que la confusion apparente des images correspond en réalité à un ordre immuable, lié à une symbolique dont la majeure partie nous échappe mais entrouverte sur une métaphysique de la vie et de la mort.
Dès les années d'après-guerre, la grotte de Lascaux, porteuse du message indéchiffré de nos ancêtres paléolithiques, va devenir une excellente affaire. Deux millions de touristes (jusqu'à 1500 par jour pendant les vacances) vont défiler, acheter des cartes postales et des objets souvenirs. A Montignac, le commerce est devenu florissant lorsqu'en 1950, le directeur de la circonscription archéologique s'aperçoit qu'une minuscule tache verte est apparue sur le sabot d'un cheval. On enquête, on fait appel à des bactériologistes réputés. La maladie est identifiée, ce sont des colonies d'une algue minuscule qui ont fait en quelques mois des progrès foudroyants. Ainsi la miraculeuse conservation de peintures de la grotte, scellée depuis des millénaires, dans une atmosphère quasi-stérile, n'a pas résisté plus de vingt ans à l'exploitation touristique. Les variations de température et d'humidité et les milliers de germes transportés par les visiteurs avaient déclenché le processus de ce qu'on n'appelait pas encore la pollution.
Les grands moyens vont devoir être utilisés pour le sauvetage de Lascaux. La grotte est fermée au public le 16 avril 1963. Traitées par des vaporisations de pénicilline et de formol, les fresques seront enfin débarrassées de la lèpre verte qui les rongeait. Mais on s'est aperçu qu'un autre danger les menaçait, la formation lente et continue d'une pellicule de calcite qui finira par les absorber et les faire disparaître. Il faut alors reprendre les recherches, trouver de nouveaux moyens de lutte. La fermeture provisoire va devenir définitive, afin de pouvoir recréer artificiellement les conditions physiques qui avaient permis à la grotte de rester intacte pendant dix-sept millénaires. Insigne privilège, seuls quelques spécialistes ont aujourd'hui la possibilité de pénétrer dans le sanctuaire, pour un temps de visite limité.
Il reste pour les autres une modeste consolation : le comte de La Rochefoucault, ex-propriétaire du site (acquis par l'Etat en 1972), a fait édifier et décorer une réplique grandeur nature de Lascaux, à 300 mètres de l'original.