HISTOIRE. - La maladie qui fait le sujet de ce mémoire est connue depuis fort longtemps. En 1763 et 1764 elle régna en Moravie ; elle fut décrite par Michel Sagard. A peu près à la même époque, elle se montra aussi en France. M. Baraillon l'a observée dans la Généralité de Moulins en 1776, 1785 et 1786 (Guersent, Essai sur les Epizooties, page 73, Paris, 1815). - En 1809, 1810, 1811 et 1812, cette maladie reparut dans nos départemens. Elle régna particulièrement dans les provinces du Nord, notamment dans une partie du département du Calvados (vallée d'Auge). M. Huzard, inspecteur des écoles vétérinaires, fut envoyé par le gouvernement pour étudier et combattre cette affection. Après l'avoir étudiée, il fit paraître, sous le titre de Précis sur l'Epizootie des Boeufs de la Vallée-d'Auge, un ouvrage qui fut répandu dans le pays. On trouve l'histoire de cette épizootie dans beaucoup d'auteurs qu'il me semble inutile de rappeler ici. (Voyez Recueil de Médecine Vétérinaire, cahier de mars 1839, page 142). Tous sont à peu-près d'accord sur la nature, la marche et le traitement de cette maladie. Elle a reçu différens noms, selon les pays où elle a sévi et l'opinion des observateurs qui l'ont décrite ; ainsi elle a été désignée sous les noms de fièvre aphteuse-stomatire, aphteuse épizootie, aphteuse cocotte, phlictenée glossopède, bouche chancrée, stomato-inter-phalangée, etc., etc. Le nom le plus généralement employé est celui de fièvre aphteuse, dénomination que je trouve impropre, puisque cette affection ne se borne pas à la bouche, et que d'autres parties se trouvent affectées, comme nous le ferons connaître en parlant des symptômes et de la marche de cette maladie.
CARACTÈRES. - Elle est épizootique ; attaque les animaux d'espèces différentes, particulièrement les espèces bovines, ovines et le cochon ; sa marche est rapide, grave et mortelle, à moins qu'un traitement incendiaire ne vienne la compliquer : elle est essentiellement inflammatoire (1). Comme toutes les maladies épizootiques, elle a trois périodes distinctes ; sa durée varie selon les localités et les habitudes des animaux ; ainsi ceux qui sont nourris à l'étable guérissent plutôt que ceux qui sont abandonnés dans les pâturages ; elle a plus d'intensité sur les animaux gras, d'un tempérament sanguin, que sur les maigres. Elle est la même que celle qui a régné aux environs de la capitale, et que l'on a désignée sous le nom de Cocotte.
SYMPTÔMES ET MARCHE. - Au début, tristesse, inappétence ; les membres sont rapprochés du centre de gravité ; les muqueuses apparentes rouges ; le pouls est fort et dur, selon la force et l'espèce de l'animal ; la bouche devient chaude, la salivation abondante, visqueuse, s'échappant malgré les efforts de l'animal qui cherche à la retenir par une espèce de succion ; les cornes sont alternativement chaudes et froides ; la démarche est pénible ; piétinement ; diminution du lait chez les femelles. On remarque sur la langue et sur les lèvres et quelque fois autour des ailes du nez des vésicules ou phlictènes qui varient en forme, en grosseur et en nombre ; ces vésicules rompues laissent échapper un liquide séreux. Le tissu sous-jacent reste à découvert ; la muqueuse qui revêt la langue, tombe par portions, quelquefois en totalité. La salivation devient plus abondante, l'appétit nul et la rumination cesse. Souvent cet état dure peu de temps ; l'intensité se passe en 24 ou 36 heures. Il n'en est pas de même chez tous les sujets ; chez certains, les phénomènes graves se prolongent 4 ou 6 jours ; alors l'animal maigrit considérablement. Après cette période d'invasion les symptômes diminuent progressivement ; l'appétit et la rumination reparaissent ; la salivation cesse et tout paraît rentrer dans l'état normal. Cependant il arrive souvent que la maladie ne s'arrête pas là ; ainsi, vers le deuxième jour chez les uns, vers le sixième chez les autres, la marche devient plus pénible ; la boiterie d'un ou de plusieurs membres se fait appercevoir ; en explorant les pieds on rencontre des vésicules à la partie supérieure et antérieure des onglons, à la réunion de la peau avec la corne, dans l'espace interdigité jusqu'à la partie postérieure. Les couronnes se gonflent, sont chaudes, douloureuses ; comme celles de la bouche, les vésicules crèvent ; il en découle un sérosité corrosive qui enflamme toutes les parties environnantes ; si l'on n'en arrête pas la marche, cette sérosité s'infiltre sous la corne, le tissu réticulaire s'enflamme, la corne se dessèche, devient dure, comprime le vif. Enfin apparaît tout le cortège des inflammations du pied. Une nouvelle affection consécutive survient et complique la maladie ; elle est connue sous le nom de fourchet ou limace et fait des ravages effrayans : la fièvre de réaction a lieu de nouveau ; l'animal ne peut s'appuyer sur le pied ou les pieds malades ; il est presque toujours couché, et répugne à se relever. Ces accidens n'arrivent quelquefois qu'au bout de 15 ou 20 jours. Lorsqu'ils se manifestent, la couronne devient rouge, douloureuse ; la peau se tendille ; la corne se détache de la peau, aux talons et à la partie interne des onglons. La peau s'ulcère ; le ligament interdigité s'enflamme ; il se forme des bourbillons, des fistules ; une suppuration abondante a lieu ; elle entraîne avec elle la peau, le ligament et fuse quelquefois dans l'articulation ; elle se fait jour à travers la couronne, occasionne la chûte des sabots, même des onglons. Cette complication, c'est-à-dire, le fourchet, est souvent le résultat d'un traitement anti-rationnel. Les guérisseurs emploient toujours, pour ces sortes de maladies, les acides nitrique et muriatique ; leur barbare ignorance les porte à brûler, sur ces parties, de la poudre à canon. Quand le fourchet, qui n'a aucune connexion avec la maladie principale, vient à se déclarer, on croit communément que celle-ci, dont les symptômes ont disparu, récidive ; mais encore une fois le fourchet n'est que le résultat d'un traitement empirique ou d'un défaut de propreté lors de l'inflammation du pied.
Chez la vache, les vésicules se font remarquer aussi à la mamelle, presque toujours aux trayons, près du canal lactifère ; elles bouchent cet orifice, l'oblitèrent ; de là des engorgemens laiteux qui se terminent presque toujours par la suppuration ; puis les vaches, pour me servir de l'expression vulgaire, tombent mauquettes.
CONTAGION. - Tous les auteurs qui ont écrit sur cette maladie, ne sont pas d'accord sur la contagion. Sagard a pensé qu'elle était contagieuse ; il rapporte que toutes les personnes qui avaient fait usage de lait furent atteintes d'aphtes. Des expériences, faites en Allemagne, paraissent confirmer son opinion. M. Favre, de Genève, pense que cette affection est contagieuse (2). M. Huzard, dans un précis publié en 1810, dit qu'elle ne l'est pas. M. Mathieu, vétérinaire du département des Vosges, a la même opinion. Les expériences faites dernièrement à Paris, par M. Royer, ont prouvé que cette maladie n'est point contagieuse. Je vais rapporter mes observations : plusieurs fois, en visitant des animaux malades, j'ai introduit ma main dans la bouche du sujet, je l'ai retirée pleine de salive ; j'ai de suite visité des animaux sains, logés dans la même étable : plusieurs d'entre eux n'ont point contracté la maladie. Une vache à lait, qui m'appartenait, fut attaquée de la maladie vers les premiers jours de décembre ; elle resta malade huit jours ; après sa guérison, je la vendis parce qu'elle produisait beaucoup moins de lait ; je la remplaçai immédiatement par une autre qui fut mise dans la même étable, et mangea des racines dans la même auge que l'autre ; je l'ai gardée jusqu'au mois de mai ; elle n'a jamais contracté la maladie. Une autre fois j'ai inoculé de la matière prise sur des vésicules de la mamelle d'une vache malade sur la mamelle d'une vache saine : cette opération n'a produit aucun effet fâcheux. J'ai remarqué que le lait n'a rien perdu de ses qualités ; il a la même couleur, la même saveur ; j'en ai fait bouillir, je n'y ai remarqué aucune altération. Les personnes qui ont fait usage du lait, donné par des vaches atteintes de cette épizoodie, n'ont rien éprouvé. Un nourrisseur de notre ville a eu douze vaches malades ; il n'a pas cessé de distribuer leur lait chez ses pratiques ; je ne sache pas que personne en ait été incommodé.
CAUSES. - Comme dans toutes les maladies, il y a des causes prédisposantes et des causes occasionnelles. Les premières dépendent de l'état particulier de l'individu et le rendent susceptible de contracter la maladie, s'il est exposé aux influences des causes occasionnelles. Mais comme l'a dit M. Favre, de Genève, dans son instruction répandue dans les campagnes par ordre de son gouvernement : «Il serait puéril d'interroger la température, les eaux, les fourrages, car cette maladie a régné à différentes époques de l'année, dans les plaines et dans les vallées». - Avouons donc que ces causes sont presque toujours cachées pour nous.
TRAITEMENT. - Il y en a de deux sortes : le préservatif et le curatif. Quant au premier, il est difficile de le mettre en pratique. Les préceptes de l'hygiène sont les seuls utiles. Le moyen thérapeutique qui serait bon à employer eu égard à la maladie, que je considère comme essentiellement inflammatoire, serait la saignée ; mais cette pratique devient difficile parce que beaucoup de cultivateurs se refusent à y soumettre leurs animaux, donnant pour motif que la saignée nuit à l'engraissement et amène une diminution du lait des vaches (3). Ces sortes de préjugés sont absurdes ; l'expérience m'a prouvé que, si les animaux qu'on a saignés n'ont pas toujours été préservés, du moins la maladie a eu chez eux beaucoup moins d'intensité.
Quant au traitement curatif, il est simple et facile ; il varie selon l'espèce d'animaux que l'on a à traiter. Ainsi dans l'espèce bovine, au début : saignée proportionnée à la force et à l'état d'embonpoint de l'animal. Si la bouche est violemment affectée, ce qui se reconnaît à la quantité plus ou moins grandes de salive qui s'écoule, faire des gargarismes composés d'eau miellée, légèrement acidulée avec du vinaigre ; répéter ces gargarismes deux ou trois fois seulement, pour cela on se sert d'une seringue ordinaire à laquelle on a adapté une canule en bois ; ou bien on met un linge au bout d'un morceau de bois et on lave la bouche. Pour les vaches affectées à la mamelle, il faut les laver avec de l'eau de mauve, de guimauve tiède, avant de les traire ; faire sortir la sérosité des vésicules, en les perçant avec un instrument quelconque, faire une application de cérat de saturne, immédiatement après que le lait sera extrait ; se garder de laisser du lait dans la mamelle, afin de prévenir les engorgemens laiteux. Lorsque les pieds sont affectés, il faut prévenir les affections consécutives que nous avons signalées, en nettoyant les pieds, avec de l'eau fraîche, pour les débarrasser de tous les corps étrangers qui sont contenus dans l'espace interdigité ; employer sur les ulcères des substances astringentes dissicatives, telles que l'eau de Goulard, l'alcool sulfurique étendu d'eau. Le moyen qui m'a réussi le mieux, et qui m'a paru infaillible est le mellite de cuivre (Egyptiac) avec une S. Q. de vinaigre pour le rendre liquide ; il est rare qu'après une ou deux applications, l'animal ne soit pas complètement guéri, un moyen qu'il ne faut pas négliger, c'est d'enduire la corne une ou deux fois d'un corps gras. Si, néanmoins, l'affection fait des progrès, si la boiterie vient à augmenter, la couronne à se gonfler et à être douloureuse, il faut pratiquer une saignée locale, et cela en coupant les onglets ou le bout des onglons ; il faut aussi enlever la corne, désunir et panser la plaie avec de l'eau chlorurée. Si la maladie se complique du fourchet, il faut traiter cette maladie. (Voir le Traité du Pied, par M. Girard). Dans l'espèce ovine : séjour à l'étable pendant la durée de la maladie ; il faut curer les bergeries tous les jours, renouveler les litières, donner des alimens de bonne qualité. Du reste, suivre le même traitement que dans l'espèce bovine.
Chez le cochon ; propreté des étables : diète ; on ne doit lui donner que des alimens cuits, une boisson tiède blanchie avec du son ou de la farine. Pour les pieds mêmes soins que chez les autres animaux.
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Notes
(1) Un auteur moderne lui a prêté un caractère charbonneux. Je pense qu'il s'est trompé ; elle peut être concomitante à une affection charbonneuse ou à toute autre maladie sporadique ; mais elle n'a jamais présenté aucun caractère de malignité.
(2) Recueil de Médecine Vétérinaire, décembre 1838.
(3) Ils sont plus disposés à croire les conseils de ces empiriques qui courent les campagnes avec leurs préservatifs, ramassis de substances échauffantes, telles que les poudres cordiales, la thériaque, le cumin ; l'application d'exutoires. - Vrais fléaux de l'agriculture, ces ignorans sont plus à redouter que la maladie elle-même.